Chez ces gens la...
Ces regards. Ce regard. C’est tout le temps, partout, par tout le monde. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut apprendre à se décentrer et surtout ne pas le prendre personnellement. Tout le monde nous regarde. On pourrait s’énerver, se dire « qu’est ce qu’il me veut ? Il veut ma photo ?? » Alors on se cache derrière des châles en pensant que l’on a dévoilé un peu trop d’épaule, derrière des lunettes de soleil pour ne pas provoquer ces regards insistants. On se cache pour fumer une cigarette ne voulant offenser personne. Et oui, la réalité en Inde est bien loin de la nôtre. Montrer un bout d’épaule c’est « manquer de respect », tout comme fumer. Je parle pour les femmes entendons-nous bien, sinon ça ne serait pas drôle. Les hommes (dans le Tamil Nadu en tout cas) fument et porte des tissus en guise de jupette, mais les femmes ont des sarees jusqu’aux pieds. On est loin de cette égalité et parité utopique qui n’existe d’ailleurs pas vraiment plus en France.
Alors on se baigne habillé. A-t-on déjà vu une femme indienne porter un maillot de bain à la plage ? Alors tout le monde va gaiement dans l’eau en jean, sarees et autres vêtements. Alors nous, qu’est ce qu’on fait ? On reste sur la plage en maillot ? On reste habillée sous les 40 degrés ? On ne va pas à la plage ? Et puis, un tee shirt mouillé, ça colle, ça moule, ça pourrait être trop sexy. On voit des gamins qui s’approchent et tentent de laisser trainer une main à travers les vagues. Ou on voit des groupes d’hommes qui s’attroupent et attendent qu’on sorte de l’eau. Bon bah, on va squatter dans l’eau alors, ils finiront bien par partir… Faux espoirs, ils restent !!
Pourtant, je ne parle pas de regards méprisants, dédaignant, qui nous prendraient de haut. Non, c’est un regard curieux, complice parfois, intrigué souvent. En fait, même en châle et habillé sur la plage ou nous regardera de la même manière. Forcément. Les enfants viennent timidement nous interpeller avec un « Hello, what’s your name ? Where from ? » et repartent tout fièrement vers leurs parents le sourire aux lèvres. Les femmes nous interpellent, nous questionnent (« il est où le reste de votre groupe ? Mariée ? ») elles nous regardent parfois je l’imagine avec envie, mais aussi avec admiration. Non, non il n’y a pas de groupe avec nous et oui oui on mange bien avec les mains dans le même resto que vous. Pourtant, on pourrait rester sur cette première impression, nous français que nous sommes, a se dévisager les uns les autres et à se juger à la moindre occaz. Est-ce qu’ils nous dévisagent ? Nous jugent ? Ont-ils honte ? Ben non. Après ce regard insistant s’esquisse un sourire, le visage s’ouvre et s’adoucit, on leur lance un « Namaste » ou un « Nandry » et ils éclatent de rire bluffé de notre performance en Hindi…
Bien évidemment, ils s’amusent de nous voir avec nos sacs à dos plus grands que nous, à prendre leur « governement bus » pourris sans fenêtre et sans porte (et je peux vous dire que jusqu’ à présent le nombre de touriste rencontré dans ces bus se compte sur les doigts d’une main !), à manger dans leur resto avec les mains en commandant ce fameux « Cay » typique. Non, non, pas de l’eau chaude avec un sachet, on a bien dit « Cay », avec du lait et du gingembre… et la glace se brise rapidement, ils dodinent joliment de la tête, et on leur dodine de la tête en retour. En Inde, pour dire « oui », on penche la tête de gauche à droite (sans la tourner comme nous on dirait « non ») et ça leur donne un charme fou !!
Les indiens sont très curieux, très intéressés (et sans arrière-pensée !!), soucieux de nous rendre service quitte à nous dire des conneries en veux-tu en voilà, mais ils ne sont pas galant pour un sou ! Ils n’ont aucune gêne à te passer devant les uns après les autres dans une queue ou te bouscule allègrement pour monter dans le bus ou le train. Il faut apprendre à s’imposer sinon on peut rester des heures à un carrefour à attendre pour traverser. C’est la jungle, avec ses règles internes, et ça marche plutôt pas mal apparemment… même s’ils abusent allègrement du klaxon. Une fois qu’on est pris dans le tourbillon, on fonce et tout devient plus simple.
Ce qui est sûr, c’est qu’on aura au moins appris une chose ici : la PATIENCE. Il ne sert à rien de s’énerver, de prévoir, de croire que l’on arrivera à l’heure, tout cela ne sert à rien. Par contre, tout s’arrange d’une manière ou d’une autre à un moment. Il faut se laisser porter, laisser ses réticences et résistances au placard sinon l’Inde devient inexorablement insupportable. Et se détacher de tout ça, se dire que ce n’est pas nous en tant que personne qu’ils regardent, mais plus ce qu’on représente, et que ces regards sont teintés de curiosité et d’envie de comprendre. Je peux vous dire que je préfère sans hésitation ces regards-là à ceux que l’on a trop souvent assis dans le métro ou dans la rue, nourrit de jugement et parfois de mépris, de comparaison.
Malgré tout, sur la plage, on s’est dit que finalement ça valait peut être plus le coup d’être une mamie en maillot plus qu’une jeunette de 25 ans. Et on se questionne aussi sur toute cette culture et tradition indienne où les relations hommes-femmes, même si elles sont toujours respectueuses, paraissent surtout compliquées. Les castes, les mariages arrangés, le statut de la femme, sa place dans la société, le travail, les enfants, l’adolescence, la sexualité, tout cela parait bien complexe régit par des milliards de coutumes ancestrales malgré tout oppressantes. Même dans les films toute scène trop osée (un baiser par exemple) est coupée. Vers 20 ans, on propose à l’homme une femme. Je rectifie, vers 20 ans, les parents du garçon propose une femme à leur fils, s’arrange avec la famille et c’est partit pour une vie de mariage. Les femmes ne dévoilent aucune parcelle de leur anatomie alors, évidemment, quand ils voient, du haut de leur 20 ans, des touristes ne serait-ce qu’en t-shirt, en pantalons courts, avec les cheveux longs, blonds, colorés, des piercings, qui fument en buvant une bière, sans être pourtant dans l’arrogance, je peux comprendre le choc des cultures, qu’ils soient déboussolés et insistants. On se dit qu’en France, on va passer inaperçu… tant mieux et tant pis à la fois. On ne se voit plus, on ne se regarde plus, on se dévisage ou on garde ses œillères.